jeudi 18 juin 2009

L'histoire de la ligerie et du corset

De la chemise en lin au Wonderbra, en passant par le corset et la gaine de grand-maman, la lingerie a une histoire. Intimement liée à l’évolution des femmes, de l’hygiène, de la pudeur, de la séduction et de la transgression dans nos sociétés. Une saga que retracent la célèbre créatrice française Chantal Thomass et l’historienne Catherine Örmen dans une Histoire de la lingerie parue aux éditions Perrin.

Article de les quotidiennes

Celle-ci débute avec une simple chemise, transmise de mère en fille et de père en fils, rapiécée à l’infini et usée jusqu’à la corde. Un sous-vêtement pour les riches. Un vêtement tout court pour les autres. «Pour les pauvres, la chemise servait de tenue de dessous et de dessus, ils n’avaient qu’elle sur le dos», rappelle Elizabeth Fischer, historienne de la mode et chargée de cours à la Haute école d’art et de design.

Le linge nettoie les corps

A partir du XVe siècle, l’eau étant soupçonnée de favoriser la contagion, le linge sert à laver les corps, absorber la transpiration et la crasse, de la même façon que le maquillage cache la saleté et masque les odeurs. Changer de chemise, c’est se laver. Sa blancheur constitue un signe ostensible de propreté autant qu’un témoin du statut social de celui ou celle qui la porte.

Puis vient le temps du raffinement. On laisse volontiers déborder une collerette ici, des manchettes là. Bientôt le corset s’impose comme l’élément typiquement aristocratique de la garde-robe. Son rôle? Redresser l’anatomie féminine qui, depuis toujours, est considérée comme faible et fragile.

Au XIXe, la femme, ange du foyer et gardienne de la morale bourgeoise, est sommée d’accumuler sur elle les emblèmes de la richesse et de la réussite sociale, se distançant ainsi de la populace contrainte de travailler pour vivre. Les dessous se parent alors d’un parfum d’interdit.


La femme se cache, dissimule en empilant les couches — corset, cache-corset, jupons, bas, jarretières, bottillons, laçage dans le dos, cage métallique soutenant la robe — selon la technique de l’oignon. Pour se prémunir des maladies, du froid, du regard des autres, mais aussi des traces laissées par les maladies d’enfance, la petite vérole. Une véritable forteresse. Qui peut peser jusqu’à 17 kilos.


Inconfortable? «Les femmes bougent autrement, leur rythme est différent, celles qui doivent travailler desserrent leur corset», rétorque Elizabeth Fischer. Avant de nous mettre en garde contre tout raisonnement à l’emporte-pièce. «Aujourd’hui, on nous impose d’être bronzés même si c’est dangereux pour la santé.

Est-ce vraiment confortable d’arborer un pull moulant qui montre le moindre bourrelet, de mettre une mini en hiver alors qu’on se gèle les fesses ou de porter des talons hauts? Les femmes de cette époque apprenaient à gérer leur crinoline dès le plus jeune âge. Elles acceptaient leurs tenues de gaieté de cœur car celles-ci correspondaient à un idéal, leur assurant un mari et une place dans la société.»

Le corset jeté aux orties

La révolution aura lieu au tournant du XXe siècle. «C’est le moment le plus fascinant», déclare Chantal Thomass. «Les femmes se mettent à faire du sport, bronzer, se couper les cheveux.» Elles ôtent le superflu puisqu’il faut bien remplacer les hommes partis au front. Paul Poiret et Madeleine Vionnet les débarrassent du corset.

Mais le vrai changement surviendra avec l’apparition du deux pièces, de la couleur, puis, après la Seconde Guerre mondiale, du nylon et du «new-look» signé Dior.

«Le vêtement n’épouse pas les formes du corps, mais celles de sa lingerie. Elle est son axe, son point de départ», explique l’artiste et styliste genevoise Natalia Solo-Mâtine. «On ne peut pas comprendre la silhouette des années 50, par exemple, sans comprendre la lingerie de cette époque. C’est à partir d’elle que se forme l’allure.»

En moins d’une décennie, la lingerie passe de l’érotisme des pin-up au fonctionnel. Le soutien-gorge se veut «invisible». En 68, les féministes américaines iront jusqu’à le brûler. «Il s’agit d’un épiphénomène dans un contexte plus général de contestation et de revendications féministes, contre la femme-objet ou boniche à la maison», juge Elizabeth Fischer. «Les féministes utiliseront ce symbole que la morale bourgeoise ne voulait surtout pas montrer en public.»

Le caché, objet de mode

De la même façon, les punkettes mettront les dessous dessus. «Se faisant, elles signifiaient: nous sommes les égales de nos mecs, on détourne la norme, on refuse la mode, les «armes» de la séduction, en exposant ce qui devait rester caché.»

Et inspireront autant Vivienne Westwood que Moschino ou Gaultier. Le caché devient objet de mode. A l’instar du body ou des leggings qui jouent d’ambiguïté dans les années 80.

Aujourd’hui, la lingerie s’est démocratisée, banalisée. Elle est devenue accessoire de mode, avec ses collections, ses défilés qui se succèdent saison après saison. Ce qu’exigent les clientes? Du confort, de la diversité — à chaque humeur sa parure sensuelle — mais encore et toujours l’envie de séduire, de se sentir belle. Quitte à tricher un peu.

Des subterfuges que Chantal Thomass juge «trompeurs, certes, on ne les voit pas, mais pas agressifs». «Ces dessous façonnent un corps idéal, lisse, juvénile, qui correspond à la norme», ajoute Elizabeth Fischer.

Encore et toujours l’idéal imposé par chaque époque. Quitte à puiser dans le passé. La saison prochaine, Chantal Thomass ne proposera-t-elle pas une gaine inspirée des années 50? Tandis que Solo-Mâtine transformera un slip en véritable bijou. L’épopée de la petite culotte continue.